Suisse allemand, le cinéaste Thomas Imbach s’était jusqu’ici faufilé entre les frontières de la fiction et du documentaire, explorant le quotidien des employés d’une banque zurichoise dans Well Done ou la mort mystérieuse d’un couple dans Happiness Is a Warm Gun, toujours à la barre de films indépendants. Mais avec Mary Queen of Scots — en salle vendredi —, pour la toute première fois il explorait les rivages escarpés des grandes coproductions internationales, en anglais et en français. Lui dont la langue maternelle est l’allemand a trouvé l’exercice stimulant, mais aussi éprouvant.
«Le personnage de Marie Stuart l’exigeait, déclare-t-il au bout du fil. C’est elle qui m’intéressait: une femme à la fois forte et fragile, pleine de courage et de passion. Pour tout dire, ça mefatiguait de voir tant de films sur Élisabeth Ire. Je ne comprenais pas l’engouement pour cette reine froide, intelligente, cérébrale, mais peu humaine, là où Marie revendiquait le droit à une vie amoureuse tout en prenant au sérieux son destin de reine. En désirant vivre sur les deux plans, elle se montrait moderne. C’est sa vie intérieure que je voulais rendre. Elle a un côté borderline, avec des moments de panique, mais fonce sans peur.»
Destin tragique
Thomas Imbach connaissait la pièce de Friedrich von Schiller sur cette reine catholique du XVIesiècle au destin étrange, à la fois souveraine d’Écosse et reine de France qui se considérait comme la reine légitime d’Angleterre, mais lui préféra la biographie de Stefan Zweig, plus rigoureuse.
Elle fut trois fois mariée, au dauphin français devenu François II, mort très tôt, puis à l’aristocrate anglais lord Darnley, assassiné par le comte de Bothwell qu’elle épousa dare-dare. «Mary a peut-être comploté pour tuer son mari, mais jusqu’à quel point? Chose certaine, elle a eu un coup de coeur pour l’assassin.»
Le fait d’avoir convolé avec le meurtrier de son second mari souleva l’ire des lords écossais. Incarcérée durant 19ans à demeure, elle fut condamnée pour complot par sa cousine Élisabeth d’Angleterre et décapitée en 1587 à 45ans. «En Suisse, on utilise plusieurs langues, rappelle le cinéaste. Au milieu d’une culture allemande et française, on était à l’avant-garde de l’Europe unie avant tout le monde. Alors, Mary Queen of Scots est un film européen. Quoi d’autre? Ce fut compliqué de monter la production avec des acteurs écossais et anglais. On a eu sept semaines de tournage là où j’aurais eu besoin du double.»
Un «casting» hors des codes
Les vedettes ne sont pas trop son affaire. «Je voulais une Marie qui avait un coeur français, dit-il, car cette reine avait grandi en France, mais aussi une actrice pas trop connue conservant une première fraîcheur.» Finalement, il a trouvé Camille Rutheford à Paris, parfaitement bilingue. Le cinéaste se sent fier de son casting cohérent et hors des codes du vedettariat.
Schiller avait pris des libertés au théâtre par rapport à la vie de Marie Stuart, imaginant sa rencontre avec Élisabeth Ire, car si les deux souveraines ont beaucoup correspondu, entretenant à la fois des liens intimes et des rivalités, elles ne se seront jamais croisées. «Dans cette bataille entre deux reines, Élisabeth fut pour Marie une ombre, un fantôme.»
Seul accroc au réel: le confident italien de Marie, Rizzio, n’était pas marionnettiste, mais chanteur. Sinon… «Dans mon film, tout est authentique. Le scénario est surtout tiré de la biographie de Stefan Zweig en 1935, mais j’ai travaillé avec l’ensemble des sources existantes.»
Au début, il voulait tourner tout le film en Écosse, mais c’eût été bien onéreux. «On a fait les intérieurs en France et en Suisse, tout en captant beaucoup de paysages en Écosse pour sentir l’air du pays. Car l’Écosse est un pays austère.»
Il a voulu offrir au spectateur le contexte du XVIesiècle, avec des costumes venus de Londres, sans l’enfermer dans un lourd décorum. «C’était tout un défi de faire un film sur elle au XXIesiècle. En général, les productions d’époque utilisent trop de lumières électriques. On a travaillé avec des feux et des bougies pour recréer l’époque, comme Kubrick à travers Barry Lyndon.» Ils ont tourné en 35 mm, caméra à l’épaule, histoire de suivre les états d’âme des personnages au plus près, ceux de Marie avant tout.
«Écrire le scénario était un vrai défi, car trop de personnages importants ont traversé sa vie. Alors, on a beaucoup travaillé pour éviter les écueils du superficiel. Ma dramaturgie projette une lumière sur certaines étapes de sa vie, mais j’aurais préféré lui offrir trois films: un anglais, un écossais et un français.»
«Ça mefatiguait de voir tant de films sur Élisabeth Ire. Je ne comprenais pas l’engouement pour cette reine froide, intelligente, cérébrale, mais peu humaine, là où Marie revendiquait le droit à une vie amoureuse tout en prenant au sérieux son destin de reine.» Le cinéasteThomas Imbach